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Un Nom, Une Vie - Fin

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Fruit-Sauvage's avatar
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La Cité Vespa apparaissait enfin à l’horizon. Les majestueuses silhouettes de ses temples et de son immense palais se découpaient dans l’azur du ciel. Un sentiment de soulagement gagnait peu à peu les membres de l’escorte à la vue de ces dernières au fur et à mesure qu’elles se faisaient de plus en plus proches. Leur long vol était sur le point de s’achever et aucun incident de parcours, aucun danger, aucun obstacle n’était venu contrarier leur périple.

La terrible attaque du village et le lourd bilan des victimes qui en avait résulté pesait encore sur le cœur du petit groupe. Ils se souvenaient encore du pénible travail de déblaiement qu’avait dû entreprendre la garnison après avoir réussi à maîtriser l’incendie. Il avait fallu dégager des décombres les corps calcinés et sans vie des malheureux. Les chairs et les carapaces brûlées par les flammes étaient devenues méconnaissables. Pire encore, les trop grands dommages infligés aux cadavres les rendaient impossibles à identifier. A peine arrivait-on à deviner s’il s’agissait d’un individu mâle ou femelle, d’un jeune ou d’un adulte… La population du hameau disparu n’était plus qu’un charnier uni par une noirceur uniforme, si bien qu’aucun nom ne fut inscrit sur les tombes. Le commandant avait toutefois décidé d’envoyer une demande à la capitale pour que soit érigée en ce lieu une plaque commémorative, sur laquelle seraient gravés les noms de tous les villageois que le fort avait déclarés dans ses registres. C’était d’ailleurs l’une des raisons, outre la remise du rapport aux plus hautes autorités, qui avait poussé l’officier à envoyer un groupe d’émissaires vers la Cité-Mère.

Mais la raison principale concernait surtout la jeune larve Vespa, seule rescapée de la boucherie, qu’il convenait de mettre en lieu sûr. L’examen du nourrisson par les brancardiers n’avait décelé aucune blessure. Rien, pas même une égratignure, tout au plus des traces de cendre et de poussière auxquelles un bain remédierait sans difficultés. Un miracle qui n’avait pas manqué d’étonner le chef de la garnison ainsi que celui qui lui avait apporté le nouveau-né. Soulagé, ce dernier avait alors été chargé par le commandant de le ramener en premier lieu au camp fortifié, pour identification. De là, le groupe avait rassemblé armes et bagages afin de convoyer le bébé jusqu’à la capitale du royaume où l’on tâcherait de lui trouver un foyer d’accueil. Ainsi le sauveteur avait-il rejoint l’escorte qui se rapprochait maintenant de la Grande Cité jusqu’à enfin distinguer le grand plateau rocheux, entouré de champs, sur lequel elle était perchée.

Survolant sans encombre le premier rempart, les voyageurs durent en revanche présenter leur laissez-passer aux gardiens de la seconde muraille et ainsi librement se mouvoir au cœur de la capitale. La formalité accomplie, les guerriers se séparèrent, les uns mettant le cap sur le camp militaire pour remettre le rapport du commandant, les autres vers le palais afin d’appuyer la demande de commémoration des martyrs du village. Seul restait le soldat chargé de la protection du nourrisson. Il en profita d’ailleurs pour ouvrir le clapet du petit cocon de métal afin de vérifier l’état de santé de son passager. Enveloppé de langes doux et chauds, ce dernier dormait toujours.

Rassuré, son protecteur entama une descente en douceur pour ne pas trop secouer la coque protectrice. Il s’immobilisa toutefois quelques instants lorsqu’il passa entre les immenses structures dédiées aux divinités Vespas. Dévisageant les impressionnantes statues, chacune érigée au sommet de la bâtisse qui lui était consacrée, le militaire ne cacha pas son mépris à leur égard.  Après le drame dont il avait été témoin, il se demandait maintenant si ces dieux soi-disant protecteurs méritaient bien les offrandes et adorations qui leurs étaient continuellement servies. Qu’avaient-ils fait, eux, en retour pour venir en aide à leurs fidèles ? Avaient-ils seulement levé leur divin petit doigt pour sauver les villageois du massacre et de la guerre ? Il commençait à en douter sérieusement. Mais le temps n’était plus au blasphème, et cela ne les ferait pas revenir. Poussant un soupir résigné, il reprit sa descente et atterrit enfin devant la structure administrative destinée à l’accueil des orphelins de guerre. Lorsqu’il franchit le seuil de la porte, une Vespa habillée d’un tablier usé vint à sa rencontre. Ainsi étaient vêtues les nurses chargées de s’occuper des jeunes abandonnés ou ayant perdu leurs géniteurs.

- Alba soit avec vous, messire. Que puis-je faire pour vous ? Demanda-t-elle souriante.
- Alba soit avec vous, également. Oh, pour moi pas grand-chose. Mais pour lui, je l’espère… Répondit-t-il en lui présentant le petit cocon blindé.
La jeune femelle ouvra délicatement le berceau de sûreté, avant de s’attendrir à la vue de la petite larve qui commençait à bouger. Le soldat lui-même laissa transparaître un léger sourire en voyant la nourrice fondre devant le nouveau-né.
- Où l’avez-vous trouvé ? Reprit cependant cette dernière, d’un air inquiet.
- J’ignore si « trouver » est le mot juste… Soupira le guerrier dont le regard se faisait fuyant. Disons, qu’il m’a été « confié ».
- Et ses parents ? Questionna de nouveau la gardienne. Je suppose qu’ils sont…
- Morts. Ponctua le militaire. Sa famille, sa nourrice… Tous les habitants de son village ont été massacrés jusqu’au dernier.
- Que… Non !
S’exclama la nurse incrédule avant de tourner à nouveau son regard encore choqué vers le nourrisson.
- C’est malheureusement la vérité. Ce petit est le seul survivant. Le patelin a été mis à sac par les Furliens. Ces ordures n’ont même pas cherché à le piller, ils ont tout fait brûler avant de s’enfuir. Quand notre garnison est arrivée sur les lieux, tout avait été ravagé par les flammes. Nous avons passé la nuit à éteindre l’incendie et la journée à enterrer les victimes. Le plus dur a été de contenir nos hauts-le-cœurs en les inhumant… Les corps étaient méconnaissables. Nous n’avons même pas pu les identifier. Se désola le combattant.
- Vous plaisantez ?! S’offusqua l’hôtesse encore secouée par le récit du soldat. Vous n’avez identifié aucun des villageois ? Mais et vos registres ? N’y étaient-ils pas répertoriés ?
- Bien sûr qu’ils l’étaient !
Reprit le Furtif. Mais comment aurions-nous pu savoir à quel individu correspondait chaque corps ? C’est à peine si on pouvait les différencier !
- L’équipe médicale n’a pas procédé à une identification dentaire ? J’avais entendu dire que c’était une méthode éprouvée et efficace.
- L’équipe médicale avait déjà fort à faire avec les recrues blessées en tentant d’éteindre le feu. De plus, nous n’avions aucune donnée précise sur la dentition de chacun. Vous connaissez les paysans : ils préfèrent régler leurs soucis de santé entre eux, ou du moins avec le médecin du village. Et même si ce dernier avait répertorié la moindre carie dans ses archives, elles ont sûrement été détruites dans l’incendie.
- Je vois…
Répondit la Vespa. Mais dites-moi, concernant ce bébé… Vos émissaires devaient sûrement se rendre régulièrement auprès des familles du bourg, ne serait-ce pour percevoir les taxes. Aucun d’eux n’a relevé qu’une des habitantes était enceinte ?
- Euh, vous en avez de bonnes !
Protesta le guerrier. Nos émissaires contrôlent plusieurs bourgs et voient passer des centaines de Vespas. Et parfois seul le chef de famille se présente à eux. Leur travail consiste à percevoir les dîmes, pas à relever les futures mères. La seule chose qui nous permet de connaître l’existence d’un nourrisson c’est sa déclaration par ses géniteurs auprès de nos archivistes.
- Comment ? Vous attendez que les parents viennent vous apporter leurs nouveau-nés au fort pour qu’enfin vous vous rendiez compte de leur existence ? C’est une plaisanterie ?!
S’exclama la nurse.
- Nous n’avons pas le choix ! Se défendit le militaire. Il y a encore trop de fausses couches et de mort-nés dans ces régions pour que nos scribes s’épuisent à les inscrire dans les parchemins administratifs ! Et puis, pensez à la douleur des parents qui viennent de perdre leur petit. Voulez-vous en plus, leur imposer le supplice de se déplacer à chaque fois, pour nous informer de cette perte et remuer le couteau dans la plaie ? Voilà pourquoi les géniteurs ne déclarent leur descendance que si cette dernière réussit à survivre quelques albes après sa naissance. Si le soigneur ou l’aide à la ponte la déclare viable alors la larve est amenée au fort pour y être pesée, mesurée et répertoriée dans nos registres. Mais pas avant. Je suis désolé mais c’est ainsi !
- Quelle négligence…
Marmonna la nourrice. À propos, le bébé a-t-il été déclaré ?

L’escrimeur eut un moment d’hésitation et déglutit discrètement avant de répondre.
- Et bien… En réalité, nous n’avons trouvé aucune information le concernant. Nos soigneurs l’ont examiné. Ils ont estimé sa venue au monde à une ou deux albes, tout au plus. Et nos registres ne mentionnent aucune naissance aussi récente. Je… Il semblerait que ses géniteurs n’aient pas eu le temps de le déclarer. Et… nous ignorons totalement de qui il est le descendant.
- C’est… Ce n’est pas possible !
S’exclama l’hyménoptère choquée par la terrible révélation. Vous êtes en train de me dire que ce petit ne pourra jamais connaître le nom de ses parents ?! Que vous ne savez même pas de quelle famille il est issu ?!
- Je… J’en ai bien peur.
Bredouilla le soldat honteux. Nous n’avons pas pu déterminer ses origines exactes. Je suis navré… Sincèrement navré…

L’hôtesse baissa les yeux sous la déception.
- Pauvre chéri… Se désola-t-elle en regardant avec tristesse le nouveau-né. Sans racines, sans famille. Que lui reste-t-il ? Je suppose également qu’il n’a pas de nom. Ou que vous l’ignorez totalement.

Le guerrier marqua de nouveau un temps d’arrêt.
- ... Dipterion.
- Je vous demande pardon ?!
Lâcha la nourrice, quelque peu surprise par la réponse.
- C’est son nom. Et c’est bien d’ailleurs la seule chose que l’on sait de lui.
- Quel étrange patronyme…
Reprit la gardienne, intriguée. Ce n’est pas très Vespa, comme appellation. Ou alors du Vespa très ancien...
- En tout cas, c’est ce que m’a soufflé à l’antenne feu sa sauveuse avant de rendre l’âme.
- Dipterion…
Répéta la nurse. Comme...
- Comme le dieu, oui.
Ponctua le Furtif avant de se remémorer les dernières paroles de celle qui s’était sacrifiée pour le nouveau-né. C’est ça ! Elle a dit « comme le dieu » ! Je crois qu’elle faisait allusion à Dipteros.
- Le dieu à deux ailes ?
S’étonna de nouveau la gardienne.
- Il semblerait, oui. J’avoue que donner le nom d’une divinité handicapée à son descendant paraît plutôt étrange. Surtout pour les membres d’une race à double paire d’ailes. D’accord, elles se confondent mais tout de même…
- Sans doute ont-ils beaucoup prié la divinité. Pour quelle raison, je l’ignore. Peut-être pour que la naissance se passe bien, qui sait ?
- Et bien, c’est réussi, semble-t-il…
Ironisa le guerrier. Quand on voit le résultat… Il en a de la chance ce petit ! Ou alors la divine aide à la ponte doit réclamer de sacrés tributs en guise de remerciements. Cents vies pour une seule; ce dieu vend très cher ses services.
- Peu importe. Le blasphème ne les ramènera pas, de toute façon. Et si ses parents ont décidé de l’appeler ainsi, alors nous respecterons leur dernière volonté.
- Vous êtes sûre ? Prenez quand même le temps de réfléchir, hein...
Conseilla le soldat, un peu inquiet par la décision. Car une fois le nourrisson déclaré, vous ne pourrez plus changer son patronyme. Vous ne pensez pas que ça va lui porter préjudice plus tard ?
- Le préjudice, il l’a déjà subi voici quelques albes, semble-t-il…
Répliqua l’hôtesse qui regardait maintenant le nouveau-né d’un sourire attendri. Après tout lui aussi, comme la divinité, a perdu quelque chose de cher. Et puis, au vue de l’horreur à laquelle il a échappé… je commence à croire qu’il a effectivement bénéficié de la protection du dieu infirme. Qui sait, ce nom lui portera peut-être chance à l’avenir ? Et après tout, Dipterion… je trouve ça plutôt joli, comme nom.

Le fantassin resta silencieux quelques instants, puis d’un sourire approbateur il salua de la tête la décision de la nourrice.
- C’est vous qui décidez… Conclut le militaire satisfait, en se dirigeant vers la porte. Ma mission consistait seulement à vous l’amener afin qu’il soit pris en charge par votre institut. C’est maintenant chose faite. Son avenir est entre vos mains, désormais. Je sais que vous en ferez un citoyen respectable.
- J’espère surtout que nous en ferons un citoyen heureux.
Lança la gardienne.
- Pour ça, je vous fais confiance. Assura le militaire avec un sourire confiant et apaisé. Qu’Alba… et Dipteros vous protègent.
- Merci à vous. Qu’ils vous protègent également.
Lui répondit la nourrice.

La porte se ferma. La guêpe nourricière se retrouva seule avec son nouveau pensionnaire, encore intriguée par les épreuves qu’il avait dû traverser, dès sa venue au monde. Elle avait beau être habituée à recueillir de jeunes orphelins au passé difficile, le vécu de celui-ci constituait un modèle dans le genre. Inquiète mais également fascinée, elle resta immobile quelques instants puis posa, de nouveau, un regard sur la petite larve.

Cette dernière dormait paisiblement...  
Et dernière partie de cette courte histoire.

En espérant que vous avez apprécié et en vous remerciant ^^.

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Comments32
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LaFeeTiguee's avatar
L'horreur du drame qu'a subit le village est très bien décrite, sadique va-
" qui se rapprochait maintenant de  la Grande Cité " psst psst il y a un espace en trop entre de et la °<°

Je n'ai pas grand chose à dire sur le dialogue, si ce n'est que je l'ai dévoré goulûment- Il est très crédible, que ce soit l'indignation de la nurse ou la plaidoirie du furtif o/ Puis le raisonnement de la gardienne sur le nom du petit est touchant évè

En tout cas je comprends mieux pourquoi Dipounet est orphelin, il commençait bien le pauvre- C'est so sad, mais ça a permis de mieux connaître son origine ou pas- et qui plus est d'avoir des petits morceaux de plus d'Arthropodia >v<
Un récit court, rude- mais avec une belle note d'espoir <3 Ce fut un plaisir de le lire !